CHAPITRE 12
J’avais à peine quitté l’hôtel particulier pour faire quelques pas dans la glorieuse lumière du jour, et déjà je comprenais que cette expérience vaudrait toutes les épreuves et toutes les souffrances que je pourrais endurer. Aucun frisson mortel, avec tout son cortège de symptômes débilitants, ne m’empêcherait d’aller gambader dans le soleil matinal.
Qu’importait si ma faiblesse physique me rendait fou ; si j’avais l’impression d’être en pierre en me traînant derrière Mojo ; si je n’arrivais pas à sauter à cinquante centimètres en l’air quand j’essayais, ni si pousser la porte de la boucherie me coûta un colossal effort ; ni si mon rhume ne faisait qu’empirer.
Sitôt que Mojo eut dévoré son petit déjeuner de déchets mendiés auprès du boucher, nous repartîmes tous deux nous repaître de la lumière qui brillait partout et je me sentis grisé à la vue des rayons du soleil qui tombaient sur les vitres et les trottoirs humides, sur les toits étincelants des automobiles à l’émail brillant, sur les flaques vitreuses où la neige avait fondu, sur les vitrines des magasins et sur les gens – ces milliers et ces milliers de gens heureux vaquant avec animation à leurs occupations de la journée.
Ils étaient différents du peuple de la nuit, car de toute évidence au grand jour ils se sentaient en sécurité, ils marchaient et bavardaient en toute liberté, poursuivant les nombreuses activités de la journée auxquelles on se livre rarement avec autant de vigueur une fois la nuit tombée.
Ah ! voir les mères affairées traîner derrière elles leurs petits enfants radieux, entasser des fruits dans leurs paniers à provisions, regarder les grands et bruyants camions de livraison se garer dans les rues bourbeuses de neige fondue tandis que de solides gaillards apportaient de grands cartons et des caisses de marchandises par les portes de service ! Voir des hommes déblayer la neige et nettoyer les vitres, voir les cafés s’emplir de créatures aimablement distraites qui engloutissaient d’énormes quantités de café et de grillades odorantes tout en lisant les journaux du matin, en parlant de la pluie et du beau temps ou en discutant du travail de la journée. Quel spectacle enchanteur que de regarder des bandes d’écoliers aux uniformes bien repassés bravant le vent glacé pour organiser leurs jeux sur l’asphalte inondé de soleil d’une cour de récréation.
Une grande vague de vibrant optimisme entraînait ensemble tous ces êtres ; on la sentait chez les étudiants qui se hâtaient entre les bâtiments de l’université ou qui se rassemblaient bien au chaud dans des restaurants pour déjeuner.
Comme des fleurs à la lumière, ces humains s’épanouissaient, leur allure et leurs discours s’accélérant. Et, lorsque je sentis sur mon visage et sur mes mains la chaleur du soleil, moi aussi je m’ouvris comme si j’étais une fleur. Je sentais la chimie de ce corps mortel qui réagissait, en dépit de ma tête congestionnée et de l’agaçante douleur que j’éprouvais dans mes mains et mes pieds gelés.
Sans me soucier de ma toux qui ne cessait de s’aggraver ni de ma vision brouillée qui me gênait vraiment, j’entraînai Mojo avec moi dans le brouhaha de M Street à Washington, capitale de la nation, je déambulai parmi les monuments commémoratifs et les édifices de marbre, les grands et impressionnants bâtiments et résidences officiels, pour arriver à la triste et douce beauté du cimetière d’Arlington avec ses milliers de petites pierres tombales identiques et jusqu’à la belle et poussiéreuse petite demeure du grand général confédéré Robert E. Lee.
À ce moment-là, je délirais. Et il est fort possible que tous mes maux physiques soient venus ajouter à mon bonheur – en me donnant un état d’esprit où la somnolence se mêlait à la frénésie, un peu comme chez quelqu’un d’ivre ou de drogué, je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que j’étais heureux, très heureux, et que le monde à la lumière n’était pas le monde des ténèbres.
De nombreux, nombreux touristes bravaient comme moi le froid pour visiter la ville. Je me délectais en silence de leur enthousiasme, me rendant compte que toutes ces créatures étaient sensibles comme moi aux grandes perspectives de la capitale – que cela les réjouissait et les transformait de voir au-dessus de leurs têtes le vaste ciel bleu et les nombreux et spectaculaires monuments de pierre commémorant les exploits de l’humanité.
« Je suis l’un d’eux ! » compris-je soudain : je n’étais plus Caïn à jamais avide du sang de son frère. Je promenais autour de moi un regard ébloui. « Je suis un des vôtres ! »
Quand un long moment je contemplai la ville depuis les hauteurs d’Arlington, frissonnant de froid et versant même quelques larmes à ce stupéfiant spectacle – si ordonné, à l’image des principes du grand Âge de la Raison – regrettant l’absence de Louis, celle de David et le cœur déchiré quand même à l’idée qu’ils ne manqueraient pas de désapprouver ce que j’avais fait.
Mais c’était la vraie planète que je contemplais, la vivante terre née de l’éclat du soleil et de sa chaleur, même sous son étincelant manteau de neige hivernal.
Je finis par redescendre la colline, Mojo de temps en temps courant devant moi, puis revenant sur ses pas pour m’accompagner, et je marchai le long de la rive du Potomac glacé, en m’émerveillant de voir le soleil se refléter sur la glace et la neige fondante. Même le spectacle de la neige qui fondait m’amusait.
Vers le milieu de l’après-midi, je me retrouvai une fois de plus sur les grandes dalles de marbre du Mémorial de Jefferson, un élégant et spacieux pavillon grec sur les murs duquel étaient gravées les maximes les plus solennelles et les plus émouvantes. J’avais le cœur qui éclatait à l’idée que durant ces précieuses heures je n’étais pas coupé des sentiments exprimés ici. En fait, pendant ce bref laps de temps, je me mêlais à la foule des hommes, sans qu’on pût me distinguer d’aucun d’entre eux.
Mais c’était une imposture, n’est-ce pas ? J’emportais en moi mon remords – dans la continuité de ma mémoire, dans mon âme irréductible : Lestat le tueur, Lestat le rôdeur de la nuit. Je songeai à la mise en garde de Louis : « Tu ne peux pas devenir un homme en t’emparant simplement d’un corps humain ! » Je revoyais l’expression tragique de son visage.
Seigneur Dieu ! et si Lestat le Vampire n’avait jamais existé, s’il n’était que la création littéraire, la pure invention de l’homme dans le corps duquel je vivais et je respirais maintenant ! Quelle magnifique idée !
Je restai un long moment sur les marches du Mémorial, la tête penchée, le vent fouettant mes vêtements. Une brave femme me dit que j’étais malade et que je devrais boutonner mon manteau. Je la regardai dans les yeux, me rendant compte qu’elle ne voyait devant elle qu’un jeune homme. Elle n’était ni éblouie ni effrayée. Je ne sentais rôder en moi aucune envie de mettre un terme à sa vie pour pouvoir mieux profiter de la mienne. Pauvre et charmante créature aux pâles yeux bleus et aux cheveux blanchissant ! Brusquement je pris sa petite main ridée et y déposai un baiser en lui disant en français que je l’aimais et je vis un sourire s’épanouir sur son petit visage fripé. Comme elle me semblait ravissante, aussi ravissante que toutes les créatures humaines que j’avais jamais pu contempler de mes yeux de vampire.
Tout le côté sordide de la nuit passée s’effaçait en ces heures de grand jour. Je crois que mes plus beaux rêves étaient exaucés.
Tout autour de moi l’hiver était pesant et rude. Même ragaillardis par le ciel bleu, les gens parlaient d’une nouvelle tempête pire que la précédente qui allait bientôt s’abattre. Les boutiques fermaient de bonne heure, les rues allaient de nouveau être infranchissables, on avait fermé l’aéroport. Un passant me conseilla de faire provision de bougies car l’électricité risquait d’être coupée. Un vieux monsieur, avec un gros bonnet de laine enfoncé sur ses oreilles me gronda de ne pas porter de chapeau. Une jeune femme me dit que j’avais l’air malade et que je devrais me dépêcher de rentrer.
Ça n’est qu’un rhume, répondis-je. Un bon sirop contre la toux et quelques remèdes d’aujourd’hui feraient fort bien l’affaire. Raglan James saurait quoi faire quand il récupérerait ce corps. Il ne serait peut-être pas trop content, mais il se consolerait avec ses vingt millions de dollars. D’ailleurs j’avais encore des heures pour me bourrer des médicaments qu’on trouvait dans le commerce et pour me reposer.
Pour l’instant, j’étais trop constamment mal fichu pour m’inquiéter d’une chose pareille. J’avais perdu assez de temps en activités sans intérêt. Et bien sûr j’avais à portée de la main de quoi remédier à tous les petits ennuis de la vie – de la vraie vie.
D’ailleurs, j’avais perdu toute notion du temps, n’est-ce pas ? Mon argent devait m’attendre à la banque. Je jetai un coup d’œil à une pendule dans une vitrine. Deux heures et demie. La montre que j’avais au poignet disait la même chose. Allons, il ne me restait que treize heures.
Treize heures dans cet épouvantable corps, avec la migraine et les membres endoloris ! Mon bonheur s’évanouit dans un soudain frisson de peur qui me glaça. Oh ! mais c’était une trop belle journée pour la laisser gâcher par la lâcheté ! Je chassai cette idée de mon esprit.
Des fragments de poèmes me revenaient… et de temps en temps un très vague souvenir de ce dernier hiver de mortel, quand j’étais blotti tout près de l’âtre dans la grande salle de la maison de mon père et que j’essayais désespérément de me réchauffer les mains auprès d’un feu mourant. Mais dans l’ensemble j’étais accroché à l’instant présent d’une façon tout à fait inhabituelle pour mon petit esprit fébrile, calculateur et malicieux. J’avais été si enchanté par ce qui se passait autour de moi que pendant des heures j’avais ignoré toute préoccupation, toute distraction.
C’était extraordinaire, absolument extraordinaire. Et, dans mon euphorie, j’étais certain que j’emporterais pour toujours avec moi le souvenir de cette simple journée.
Le retour à Georgetown me parut par moments un exploit impossible. Avant même que j’eusse quitté le Mémorial de Jefferson, le ciel avait commencé à s’assombrir et à prendre une couleur d’étain terni. La lumière semblait s’évaporer comme s’il s’agissait d’un liquide. Pourtant j’adorais ce phénomène dans ses manifestations les plus mélancoliques. J’étais fasciné par le spectacle de mortels anxieux bouclant leurs devantures et se hâtant dans la bourrasque avec des sacs de provisions, la vue de ces phares allumés qui brillaient d’un éclat presque joyeux dans les ténèbres qui s’épaississaient.
Il n’y aurait pas de crépuscule, je le compris aussitôt. Ah ! c’était bien triste. En tant que vampire, j’avais souvent contemplé le crépuscule. Alors pourquoi me plaindre ? Néanmoins, juste une seconde je regrettai d’avoir passé les précieuses heures dont je disposais à subir les assauts de ce rude hiver. Mais, pour des raisons que je pouvais à peine m’expliquer, c’était justement ce que je voulais. Un hiver aussi mordant que ceux de mon enfance. Aussi âpre que ce jour à Paris où Magnus m’avait emporté dans son antre. J’étais satisfait. J’étais content.
Lorsque j’arrivai à l’agence, même moi je savais que la fièvre et les frissons s’emparaient de mon corps et qu’il me fallait me mettre en quête d’un abri et de nourriture. Je fus heureux de constater que mon argent était bien arrivé. On m’avait préparé une nouvelle carte de crédit sous un de mes pseudonymes parisiens, Lionel Potter, ainsi qu’un carnet de chèques de voyage. Je fourrai tout cela dans mes poches et, devant l’employé horrifié qui m’observait en silence, j’enfouis aussi dans mes poches les trente mille dollars.
« Vous allez vous faire voler ! » chuchota-t-il en se penchant vers moi par-dessus le comptoir. Il me tint des propos que j’avais bien du mal à suivre pour m’expliquer que je devrais porter l’argent à la banque avant l’heure de fermeture. Et puis je devrais aller tout de suite chez un docteur avant que la tempête n’arrive. Des tas de gens avaient la grippe, semblait-il, c’était une véritable épidémie.
Pour simplifier les choses, je dis oui à tout, mais je n’avais pas la moindre intention de passer les heures de mortel qui me restaient entre les mains des docteurs. D’ailleurs, ce n’était pas nécessaire. Tout ce qu’il me fallait, estimais-je, c’était manger et boire chaud et profiter du calme d’un lit d’hôtel douillet. Ensuite, je pourrais rendre ce corps à James dans un état convenable et regagner sans problème le mien.
Tout d’abord il me fallait changer de vêtements. Il n’était que trois heures et quart et je disposais d’encore une douzaine d’heures et je ne pouvais supporter un moment de plus ces haillons sales et tristes !
J’arrivai au grand centre commercial de Georgetown juste au moment où les magasins fermaient pour permettre aux gens de fuir la tempête de neige, mais je persuadai le patron de me laisser entrer dans son élégante boutique de vêtements pour hommes où j’eus prestement amassé devant le vendeur impatient une pile de tout ce dont je croyais avoir besoin. Un vertige me prit quand je lui tendis la petite carte en plastique. Cela m’amusait de voir qu’il avait maintenant perdu toute impatience et qu’il s’efforçait de me vendre des assortiments de foulards et de cravates. C’était à peine si je comprenais ce qu’il me disait. Ah ! oui, taper tout cela à la caisse. Nous offrirons le tout à Mr. James à trois heures du matin. Mr. James adore avoir des choses pour rien. Bien sûr, cet autre chandail et pourquoi pas cette écharpe aussi.
Comme je parvenais à m’enfuir avec mon chargement de boîtes et de sacs luisants, une nouvelle crise d’étourdissement s’empara de moi. Une sorte de vague noire m’entourait ; pour un peu je me serais affalé à genoux avant de tomber. Une charmante jeune femme vint à mon secours. « On dirait que vous allez défaillir ! » Je transpirais abondamment et même dans la chaleur du centre commercial, j’étais glacé.
Ce qu’il me fallait, c’était un taxi, lui expliquai-je, mais on n’en trouvait aucun. Il n’y avait d’ailleurs pas grand monde sur M Street et la neige s’était remise à tomber.
J’avais repéré un bel hôtel de briques à seulement quelques blocs de là, qui portait le nom délicieusement romantique de Les Quatre Saisons et je me hâtai dans cette direction, avec un geste d’adieu à cette belle et compatissante jeune créature, courbant la tête dans les rafales de vent. J’allais être au chaud et à l’abri aux Quatre Saisons, songeai-je avec plaisir, ravi d’en prononcer le nom tout haut. Je pourrais dîner là-bas et je n’aurais pas besoin de retourner à cet horrible hôtel particulier avant que n’approche l’heure de l’échange.
Quand j’arrivai enfin dans le hall de l’hôtel, il me parut plus que satisfaisant et je laissai une somme importante pour garantir que Mojo durant notre séjour se conduirait en vrai gentleman. La suite était somptueuse, avec de grandes baies vitrées donnant sur le Potomac, des étendues apparemment sans fin de moquette pâle, des salles de bains dignes d’un empereur romain, des postes de télévision et des réfrigérateurs dissimulés dans de magnifiques armoires en bois et une foule d’autres petits accessoires de ce genre.
Je nous commandai aussitôt un festin pour Mojo et pour moi, puis j’ouvris le mini-bar, lequel était bourré de bonbons et autres friandises ainsi que d’alcools et je me servis un verre du meilleur whisky. Un goût absolument abominable ! Comment diable David pouvait-il boire ça ? La tablette de chocolat était meilleure. Tout à fait extraordinaire ! Je l’engloutis tout entière, puis je rappelai le restaurant et je fis ajouter à la commande que j’avais passée quelques instants plus tôt tous les desserts au chocolat figurant au menu.
David, il faut que j’appelle David, me dis-je. Mais il me semblait impossible de me tirer de mon fauteuil pour aller jusqu’au téléphone posé sur le bureau. Il y avait tant de choses auxquelles je voulais réfléchir, que je voulais fixer dans mon esprit. Au diable les inconforts, ç’avait été une formidable expérience ! Je commençais même à m’habituer à ces énormes mains qui pendaient deux ou trois centimètres plus bas que là où elles devraient être et à cette peau sombre et poreuse. Je ne devais pas m’endormir. Quel gâchis ce serait…
Là-dessus, la sonnette me fit sursauter ! J’avais dormi. Toute une demi-heure de temps mortel s’était écoulée. Je parvins à me mettre debout, comme si à chaque pas je soulevais des briques et je réussis je ne sais comment à ouvrir la porte à la femme de chambre de l’étage, une charmante créature d’un certain âge, du sexe féminin, aux cheveux d’un blond cendré et qui roula dans le salon de la suite une table couverte d’une nappe et chargée de victuailles. Je donnai le steak à Mojo, ayant déjà posé par terre à son intention une serviette de bain en guise de nappe et il attaqua la viande à belles dents, s’allongeant pour ce faire, comme ne le font que les très gros chiens, ce qui le fit paraître encore plus monstrueux : on aurait dit un lion rongeant paresseusement un chrétien désemparé entre ses énormes pattes.
Je bus aussitôt la soupe brûlante, incapable d’y trouver grand goût, mais il fallait s’y attendre avec un pareil rhume. Le vin était merveilleux, bien meilleur que le rouge ordinaire de la nuit dernière et, même s’il me paraissait encore un peu clair comparé au sang, j’en descendis deux verres et je m’apprêtais à dévorer les pastas, comme on les appelait ici, quand, en levant les yeux, je constatai que la femme de chambre était toujours là.
« Vous êtes malade, dit-elle, vous êtes très, très malade.
— Allons donc, ma chère, répondis-je, j’ai un rhume. Un rhume mortel, ni plus ni moins. » Je fouillai dans ma poche de chemise pour y trouver ma liasse de billets, lui glissai quelques coupures de vingt dollars et lui dis de partir. Elle semblait très réticente.
« Vous avez une bien vilaine toux, dit-elle. Je crois que vous êtes vraiment malade. Vous êtes resté longtemps dehors, n’est-ce pas ? »
Je la dévisageai, totalement affaibli par sa sollicitude et me rendant compte que je risquais vraiment d’éclater stupidement en sanglots. J’aurais voulu la prévenir que j’étais un monstre, que ce corps-là n’était que volé. Mais comme elle était tendre, quel trésor d’une bonté qu’on sentait habituelle elle déployait.
« Nous sommes apparentés, lui dis-je, toute l’humanité. Nous devons nous aimer les uns les autres, n’est-ce pas ? » Je pensais qu’elle allait être horrifiée par des sentiments aussi sirupeux, exprimés avec une émotion d’ivrogne et qu’elle allait maintenant prendre congé. Mais pas du tout.
« Tout à fait, fit-elle. Laissez-moi vous appeler un docteur avant que la tempête n’empire.
— Mais non, très chère, allez maintenant », dis-je.
Et après m’avoir jeté un dernier regard inquiet, elle finit quand même par partir. Ayant terminé le plat de nouilles à la sauce au fromage, encore un mets salé et sans beaucoup de goût, je commençai à me demander si elle n’avait pas raison. Je passai dans la salle de bains et j’allumai les lumières. L’homme que je vis dans le miroir avait en effet un air épouvantable, les yeux injectés de sang, frissonnant de la tête aux pieds et sa peau naturellement sombre était d’une coloration jaunâtre pour ne pas dire d’une inquiétante pâleur.
Je me tâtai le front, mais à quoi bon ? Je ne vais quand même pas en mourir, me dis-je. Mais au fond, je n’en étais pas si sûr. Je me rappelai l’expression du visage de la femme de chambre et l’air inquiet des gens qui m’avaient adressé la parole dans la rue. Une nouvelle quinte de toux me secoua.
Il faut que je fasse quelque chose, me dis-je. Mais quoi ? Et si les médecins me prescrivaient quelque puissant sédatif qui m’abrutirait tant que je ne pourrais pas retourner à la résidence de James ? Et si leurs médicaments affectaient ma concentration à tel point que l’échange ne pourrait pas se faire ? Bonté divine, je n’avais même pas essayé de sortir de cette enveloppe humaine, un tour que je connaissais si bien dans ma forme précédente.
Je n’avais d’ailleurs pas envie de tenter l’expérience. Et si je n’arrivais pas à revenir ! Non, mieux valait attendre James pour ce genre d’expérience et éviter les médecins avec leurs aiguilles !
Une sonnette retentit. C’était la femme de chambre au cœur tendre et cette fois elle apportait un plein sac de médicaments : des flacons de liquides rouge vif et verts et des tubes de comprimés. « Vous devriez vraiment appeler un médecin, dit-elle en déposant tout cela sur la tablette en marbre de la commode. Voulez-vous que nous fassions venir un docteur ?
— Absolument pas », dis-je, en lui glissant d’autres billets dans la main et en la guidant jusqu’à la porte. Mais attendez, dit-elle. Est-ce que je voulais pas la laisser promener le chien puisqu’il venait de manger ?
Ah ! oui, quelle excellente idée. Je lui fourrai d’autres billets dans la main. Je dis à Mojo d’aller avec elle et de faire ce qu’elle dirait. Le chien semblait la fasciner. Elle murmura, me sembla-t-il entendre, qu’il avait une tête plus grosse que la sienne.
Je regagnai la salle de bains et j’examinai les petites fioles qu’elle avait apportées. Je me méfiais de tous ces médicaments ! D’un autre côté, ce n’était pas très bien élevé de ma part de rendre à James un corps malade. Et si James n’en voulait pas ? Non, c’était peu probable. Il empocherait les vingt millions de dollars et la toux et les frissons.
Je bus une révoltante gorgée du flacon vert, luttant contre une nausée convulsive, puis je m’obligeai à retourner dans le salon où je m’effondrai devant le bureau.
Il y avait là du papier à lettres de l’hôtel et un stylo à bille qui fonctionnait assez bien de cette façon un peu glissante et cursive qu’ont toujours ces instruments. Je me mis à écrire, découvrant que j’avais le plus grand mal avec ces gros doigts, mais persévérant, pour décrire en détails précipités tout ce que l’avais vu et ressenti.
J’écrivais et j’écrivais toujours, même si j’avais du mal à garder la tête levée et à respirer tant mon rhume s’aggravait, Finalement, quand il ne resta plus de papier et que je me retrouvai incapable de relire mes griffonnages, je fourrai ces pages dans une enveloppe que je léchai et cachetai, puis je me l’adressai à mon appartement de La Nouvelle-Orléans, après quoi je la rangeai dans ma poche de chemise, bien en sûreté sous mon chandail, à un endroit où je ne risquais pas de la perdre. Je finis par m’allonger sur le sol. Il fallait dormir maintenant. Je devrais passer ainsi un grand nombre des heures mortelles qui me restaient, car je n’avais pas la force de rien faire d’autre.
Je ne dormis pas d’un sommeil très profond. J’étais trop fiévreux et trop empli de peur. Je me souviens du retour de l’aimable femme de chambre avec Mojo, me répétant que j’étais malade.
Je me souviens d’une camériste de nuit venant faire le lit et qui parut traîner là des heures. Je me rappelle Mojo allongé auprès de moi, avec sa douce chaleur et je me souviens m’être blotti contre lui, ravi de son odeur, de la merveilleuse odeur laineuse de son pelage, même si rien n’était aussi fort que ce l’aurait été pour moi dans mon corps d’autrefois, et je crus en effet un moment que j’étais de retour en France, au bon vieux temps.
Le souvenir de cette époque disparue s’était trouvé en quelque sorte effacé par cette expérience. De temps en temps, j’ouvrais les yeux, j’apercevais l’auréole de la lampe, les fenêtres noires où se reflétaient les meubles et je croyais pouvoir entendre la neige qui tombait dehors.
À un moment, je me mis debout et gagnai la salle de bains, me cognant violemment la tête contre le chambranle et tombant à genoux. Mon Dieu, tous ces petits tourments ! Comment les mortels supportent-ils cela ? Comment l’ai-je jamais supporté ? Quelle souffrance ! On aurait dit un liquide se répandant sous la peau.
Mais des épreuves plus redoutables m’attendaient. Je dus malgré mon désespoir utiliser les toilettes, comme mon corps l’exigeait, me nettoyer après cela soigneusement : c’était dégoûtant ! Et me laver les mains. Maintes et maintes fois, frissonnant de répugnance, je me lavai les mains ! Quand je découvris que le visage de ce corps était maintenant couvert d’une ombre vraiment marquée de barbe, j’éclatai de rire. Quelle croûte cela faisait au-dessus de ma lèvre supérieure, de mon menton et qui descendait même jusqu’au col de ma chemise. De quoi avais-je Pair ? D’un fou ; d’un vagabond. Mais je ne pouvais raser tout ce poil. Je n’avais pas de rasoir et assurément je me couperais la gorge si j’essayais.
Que ma chemise était sale ! J’avais oublié de passer les vêtements dont j’avais fait l’emplette, mais n’était-il pas trop tard maintenant pour cela ? Avec un étonnement un peu cotonneux, je vis à ma montre qu’il était deux heures. Mon Dieu, l’heure de la transformation était presque arrivée.
« Viens, Mojo », dis-je ; nous cherchâmes l’escalier plutôt que l’ascenseur, ce qui n’était pas un grand exploit puisque nous n’étions qu’à un étage au-dessus de la rue et, traversant le hall silencieux et presque désert, nous sortîmes dans la nuit. D’épais tas de neige s’amassaient partout. De toute évidence, les rues étaient impraticables et il y avait des moments où je tombais de nouveau à genoux, mes bras s’enfonçant dans la neige, tandis que Mojo me léchait le visage comme s’il cherchait à me réchauffer. Mais je continuai, remontant malgré tout la colline, jusqu’au moment où, ayant tourné le coin, j’aperçus devant moi les lumières de l’hôtel particulier qui m’était devenu familier.
La cuisine plongée dans l’obscurité était maintenant envahie d’une épaisse couche de neige. Cela semblait un jeu que de la traverser jusqu’au moment où je me rendis compte qu’elle reposait sur une croûte glacée, provenant de la tempête de la nuit précédente, et qu’elle était fort glissante.
Je réussis néanmoins à gagner sans encombre le salon et je m’allongeai en frissonnant sur le sol. Ce fut alors seulement que je m’aperçus que j’avais oublié mon manteau et tout l’argent que j’avais fourré dans ses poches. Il ne restait que quelques billets dans ma chemise. Mais qu’importe. Le Voleur de Corps serait bientôt ici. J’allais retrouver ma propre forme, et tous mes pouvoirs ! Et comme ce serait doux alors de réfléchir à tout cela, sain et sauf dans ma demeure de La Nouvelle-Orléans, quand la maladie et le froid ne voudraient plus rien dire ; quand les courbatures et les douleurs n’existeraient plus, quand je serais redevenu Lestat le Vampire, planant par-dessus les toits, tendant les mains vers les étoiles lointaines.
Auprès de l’hôtel, l’endroit paraissait glacé. Je me retournai un moment, pour inspecter la petite cheminée et j’essayai de faire prendre le feu par la force de mon esprit. Puis j’éclatai de rire en me souvenant que je n’étais pas encore Lestat, mais que James allait bientôt arriver.
« Mojo, murmurai-je, je ne peux supporter un instant de plus ce corps. » Le chien s’assit devant la fenêtre de la rue, regardant la nuit en haletant, son haleine faisant de la buée sur la vitre obscure.
J’essayai de rester éveillé, mais sans y parvenir. Plus le froid me gagnait, plus je me sentais ensommeillé. Et là-dessus une pensée tout à fait épouvantable s’empara de mon esprit. Et si je n’arrivais pas à sortir de cette enveloppe corporelle au moment voulu ? Si je n’étais pas capable d’allumer un feu, de lire dans les esprits, de…
À demi perdu dans ces rêves, j’essayai un petit tour psychique. Je laissai mon esprit s’enfoncer presqu’au bord des rêves. Je ressentis la sourde et délicieuse vibration prémonitoire qui précède souvent l’élévation du corps spirituel. Mais il ne se passa rien d’anormal. J’essayai encore une fois. « Monte », dis-je. J’essayai de me représenter ma forme éthérée se dégageant et s’élevant sans entrave jusqu’au plafond. Rien à faire. Autant essayer de me faire pousser des ailes. Et j’étais si las, si endolori. Je restai ancré dans ces membres désespérants, attaché à cette poitrine douloureuse, à peine capable de respirer sans effort.
Mais James serait bientôt ici. Le sorcier, celui qui connaissait le tour. Oui, James, avide de toucher ses vingt millions, allait certainement diriger tout le processus.
Quand je rouvris les yeux, il faisait jour.
Je me redressai tout droit en regardant devant moi. Pas d’erreur possible. Le soleil était haut dans le ciel et déversait un flot de lumière par les fenêtres et sur le parquet vernis. J’entendais dehors la rumeur de la circulation.
« My God », murmurai-je en anglais, car mon Dieu ne signifie tout simplement pas la même chose. « My God, my God, my God. »
Je me rallongeai par terre, le cœur battant et trop abasourdi sur le moment pour avoir une pensée ou une attitude cohérente ou pour décider si c’était de la rage que j’éprouvais ou une crainte aveugle. Puis lentement je levai mon poignet pour pouvoir regarder ma montre. Onze heures quarante-sept du matin. Dans moins de quinze minutes, la somme de vingt millions de dollars déposée à la banque en ville allait revenir à Lestan Gregor, un autre de mes pseudonymes abandonné ici dans ce corps par Raglan James, lequel n’était manifestement pas revenu avant le matin dans cette maison pour effectuer l’échange prévu par notre accord ; et maintenant qu’il avait renoncé à cette immense fortune, il avait très peu de chances de jamais revenir.
« Oh ! que Dieu m’assiste », dis-je tout haut, les mucosités aussitôt remontant dans ma gorge et la toux me secouant douloureusement la poitrine. « Mais je le savais, murmurai-je. Je le savais. » Quel imbécile j’avais été, quel extraordinaire imbécile.
Misérable canaille, songeai-je, méprisable Voleur de Corps, tu ne vas pas t’en tirer comme ça, je t’assure. Comment oses-tu me faire ça, comment oses-tu ! Ce corps ! Ce corps dans lequel tu m’as abandonné, qui est tout ce que j’ai avec quoi te poursuivre, ce corps est vraiment, vraiment malade.
Le temps de trébucher jusqu’à la rue, il était midi sonnant. Qu’importait ? J’étais incapable de me rappeler le nom ni l’adresse de la banque. D’ailleurs, j’aurais été bien en peine de donner une raison d’y aller. Pourquoi réclamer les vingt millions de dollars qui dans quarante-cinq secondes me reviendraient de toute façon. Où allais-je en fait emmener cette frémissante masse de chair ?
À l’hôtel pour reprendre mon argent et mes vêtements ?
À l’hôpital pour des soins dont j’avais grand besoin ?
Ou bien à La Nouvelle-Orléans, chez Louis, Louis qui devait m’aider, Louis qui était peut-être le seul être à pouvoir le faire. Et comment allais-je retrouver ce misérable pervers et suicidaire Voleur de Corps sans l’aide de Louis ! Oh ! mais que ferait Louis quand je l’aborderais ? Quel jugement porterait-il en comprenant ce que j’avais fait ?
Je tombais. J’avais perdu l’équilibre. Je cherchai trop tard à me rattraper à la balustrade de fer. Un homme se précipitait vers moi. La douleur explosa dans ma nuque au moment où elle heurta la marche. Je fermai les yeux, serrant les dents pour ne pas hurler. Puis je les rouvris et je vis au-dessus de moi le ciel bleu le plus serein.
« Appelez une ambulance », dit l’homme à quelqu’un auprès de lui. Rien que des formes sombres et sans visage se détachant sur le ciel éblouissant, ce ciel clair et pur.
« Non ! m’efforçai-je de crier, mais seul un murmure rauque sortit de mes lèvres. Il faut que j’aille à La Nouvelle-Orléans ! » Dans un torrent de mots, j’essayai de tout expliquer, l’hôtel, l’argent, les vêtements ; est-ce que quelqu’un voulait bien m’aider, appeler un taxi, il fallait que je quitte Georgetown pour aller sans tarder à La Nouvelle-Orléans.
Et puis je me retrouvai allongé, immobile dans la neige. Et je songeai combien le ciel au-dessus de ma tête était merveilleux, avec des minces nuages blancs qui couraient là-haut, et même ces ombres floues qui m’entouraient, ces gens qui échangeaient entre eux des murmures si doux et si furtifs que je n’arrivais pas à les entendre. Et Mojo qui aboyait, aboyait et aboyait encore. J’essayai, mais je n’arrivais pas à parler, pas même à lui dire que tout irait bien, parfaitement bien.
Une petite fille surgit. Je distinguai ses longs cheveux, ses petites manches bouffantes et un bout de ruban qui volait au vent. Elle me regardait comme les autres, son visage plein d’ombres et le ciel derrière elle brillant d’un éclat inquiétant et dangereux.
« Bonté divine, Claudia, la lumière du soleil, va-t’en ! criai-je.
— Restez tranquille, monsieur, on vient vous chercher.
— Ne bougez pas, mon vieux. »
Où était-elle ? Où s’en était-elle allée ? Je fermai les yeux, guettant le claquement de ses talons sur les pavés. Était-ce un rire que j’entendais ?
L’ambulance. Le masque à oxygène. Une aiguille. Et soudain je compris.
J’allais mourir dans ce corps-ci, et ce serait si simple ! Comme des millions d’autres mortels, j’allais mourir. Ah ! c’était l’explication de tout cela, la raison pour laquelle le Voleur de Corps s’était adressé à moi, l’Ange de la Mort pour me donner les moyens que j’avais recherchés à grand renfort de mensonges, d’orgueil et d’illusion. J’allais mourir.
Et je ne voulais pas mourir !
« Mon Dieu, je vous en prie, pas comme ça, pas dans ce corps. » Je fermai les yeux en murmurant : « Pas encore, pas maintenant. Oh ! je vous en prie, je ne veux pas ! Je ne veux pas mourir. Ne me laissez pas mourir. » Je pleurais, j’étais brisé, terrifié et en larmes. Oh ! mais c’était parfait, n’est-ce pas ? Seigneur Dieu, avais-je jamais vu la révélation d’un dessein plus parfait : le monstre affamé qui s’en était allé dans le désert de Gobi non pas pour rechercher le feu du ciel mais par orgueil, par orgueil, seulement par orgueil.
J’avais les yeux bien fermés. Je sentais les larmes ruisseler sur mon visage. « Ne me laissez pas mourir, je vous en prie, je vous en prie, ne me laissez pas mourir. Pas maintenant, pas comme ça, pas dans ce corps ! Aidez-moi ! »
Une petite main me toucha, s’efforçant de se glisser dans la mienne puis elle y parvint, me serrant d’une étreinte tendre et tiède. Ah ! si douce. Si petite. Et tu sais bien à qui est cette main, tu le sais, mais tu as bien trop peur pour ouvrir les yeux.
Si elle est là, alors tu es vraiment en train de mourir. Je n’arrive pas à ouvrir les yeux. J’ai peur, oh ! si peur. Frissonnant et sanglotant, je serrais si fort sa petite main que certainement j’allais la broyer, mais je ne voulais toujours pas ouvrir les yeux.
Louis, elle est ici. Elle est venue me chercher. Aide-moi, Louis, je t’en prie. Je ne peux pas la regarder. Je ne veux pas. Je ne peux pas dégager ma main ! Et toi, où es-tu ? Endormi dans la terre ? Profondément enfoui sous ton jardin sauvage et abandonné, avec le soleil d’hiver qui se déverse sur les fleurs, endormi jusqu’au retour de la nuit.
« Marius, aide-moi. Pandore, où que tu sois, aide-moi. Khayman, viens m’aider. Armand, pas de haine entre nous maintenant. J’ai besoin de toi ! Jesse, ne laisse pas une chose pareille m’arriver. »
Oh ! le sourd et triste murmure de la prière d’un démon sous le hurlement de la sirène. N’ouvre pas les yeux, ne la regarde pas. Si tu le fais, c’est fini.
As-tu appelé à l’aide dans tes derniers instants, Claudia ? Avais-tu peur ? Voyais-tu la lumière comme le feu de l’enfer emplissant le puits d’aération, ou bien était-ce la grande et magnifique lumière comblant le monde entier d’amour ?
Nous étions ensemble dans le cimetière, baignés dans la douce fragrance du soir plein d’étoiles lointaines et brillant d’une douce lumière violette. Oui, toutes les couleurs sans nombre de la nuit. Regarde sa peau brillante, la meurtrissure ensanglantée de ses lèvres et la couleur profonde de ses yeux. Elle tenait son bouquet de chrysanthèmes jaunes et blancs. Je n’oublierai jamais ce parfum.
« Est-ce que ma mère est enterrée ici ?
— Je ne sais pas, ma petite chérie. Je n’ai même jamais connu son nom. » Elle était toute pourrie et elle empestait quand je suis tombé sur elle, les fourmis grouillaient dans ses orbites et sa bouche béante.
« Tu aurais dû trouver son nom. Tu aurais dû faire ça pour moi. J’aimerais savoir où elle est enterrée.
— Il y a un demi-siècle de cela, ma chérie. Déteste-moi pour les choses plus graves. Déteste-moi, si tu veux, parce que tu ne gis pas maintenant auprès d’elle. Est-ce qu’elle te tiendrait chaud si c’était le cas ? C’est le sang qui est chaud, ma chérie. Viens avec moi boire du sang, comme toi et moi savons le faire. Nous pourrons boire du sang tous les deux jusqu’à la fin du monde.
— Ah ! tu as réponse à tout. » Comme son sourire était froid. Dans ces ombres, on sent presque la femme en elle, défiant l’empreinte permanente de la douceur enfantine, avec l’inévitable envie d’embrasser, d’étreindre, d’aimer.
« Nous sommes la mort, ma chérie, et la mort est la réponse ultime. » Je la pris dans mes bras, je la sentis qui se blottissait contre moi, je l’embrassai, je l’embrassai, je couvris de baisers sa peau de vampire. « Il n’y a plus de questions après cela. » Sa main toucha mon front.
L’ambulance fonçait, comme si la sirène la poursuivait, comme si la sirène était la force qui la poussait. La main de Claudia effleura mes paupières. Je ne te regarderai pas !
Oh ! je vous en prie, aidez-moi… La morne prière du diable à ses cohortes, tandis qu’il dégringole de plus en plus profondément vers l’enfer.